Le baryton Edwin Crossley-Mercer souffrant sera remplacé par Jóhann Kristinsson pour le concert du 15 octobre.

Entretien avec Jeff Mills

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Entretien avec Jeff Mills

Cela fait désormais plusieurs saisons que vous collaborez avec l’Orchestre national du Capitole, et chacune de vos venues est un événement à part entière ! Comment cette relation s’est-elle nouée et comment collaborez-vous avec les musiciens au fur et à mesure de vos rencontres ?

Je crois que ce lien étroit a pu se construire d’abord et avant tout grâce à l’ouverture d’esprit de l’Orchestre, des musiciens et du public qui y assiste. Tous ont bien saisi le sens de ces performances conceptuelles et leur souhait de faire voyager psychologiquement les auditeurs, que j’imagine comme des passagers. Notre relation a été initiée par le chef d’orchestre Christophe Mangou qui est aussi un proche ami. Christophe a beaucoup défendu l’idée de présenter ces performances orchestrales au public toulousain. C’est grâce à lui que la commande Lost In Space a été créée et que, maintenant, nous pouvons enfin présenter Planets, ce concept unique que j’ai imaginé, mais qui a été composé et réalisé plus tôt.

Vous avez refondé les genres techno et électro, tout en les faisant sortir des frontières qui leur étaient consacrées, et vous avez été l’un des pionniers en matière de collaborations avec des effectifs symphoniques. Que peuvent s’apporter les platines et les instruments de l’orchestre ?

Tout d’abord, il existe selon moi de nombreuses similitudes entre la manière dont la musique classique et la musique techno ont été théorisées et créées. Les deux genres ont demandé une certaine réflexion en amont, lors de la création et beaucoup de réflexion en aval, pour que la prochaine tentative soit encore meilleure. Tous deux partagent cette manière intentionnelle de penser le son car ce que les auditeurs reçoivent peut être tellement plus qu’un simple divertissement. Sur un plan technique, les deux genres nécessitent une compréhension approfondie des instruments et de ce qu’ils peuvent faire. C’est d’autant plus important qu’il est parfois nécessaire de dépasser ces limites. Et enfin, chacun de ces genres est sérieux, dans la mesure où l’on passe un temps précieux à l’écouter. Chaque seconde est une expérience susceptible de changer la vie quelqu’un, de sorte que cette question du « son dans le temps » me semble partagée.


Que cherchez-vous dans une telle rencontre ?

Parfois, lorsque les conditions sont réunies, la musique peut nous faire nous sentir spirituellement libres – elle peut nous éloigner suffisamment pour que nous perdions notre place dans l’espace et le temps. Jouer avec un orchestre classique ne fait qu’augmenter ce sentiment et favoriser de telles expériences.

Que peut apporter l’effectif symphonique à l’électro, et inversement ?

Je crois que la force du collectif est la formule musicale ultime. Il existe une énorme gamme acoustique qui peut être couverte lorsque ces deux genres se rencontrent. Et quand le sujet évoque les neuf planètes (ou neuf mondes) cette vaste trousse à outils est nécessaire.

Lorsque vous investissez une salle telle que la Halle aux grains, les contraintes, le cadre d’un tel espace modifie-t-il la façon dont vous percevez le son et dont vous le travaillez ?

Oui, la Halle aux grains est un espace très particulier. Je l’envisage comme un théâtre en trois dimensions, où chaque siège a une vue directe et dégagée sur la scène. Il s’agit là du scénario idéal pour que des choses spéciales se produisent et se réalisent. D’une certaine manière, le public peut être un peu plus impliqué dans ce qui se passe dans le spectacle.


Avec Christophe Mangou et Sylvain Griotto, vous êtes partis d’un thème universel : celui des planètes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur un tel projet ?

Planets est un voyage didactique, qui part d’une explosion massive d’énergie du Soleil pour propulser les auditeurs vers chacune des neuf planètes. J’ai conçu le concept pour me concentrer principalement sur les caractéristiques physiques de chaque planète. Ces facteurs ont dicté la façon dont j’ai créé les compositions originales. Des éléments tels que la taille, la masse, le taux de rotation, la topographie, le gaz par rapport aux surfaces solides, le nombre de lunes et d’autres vérités de la planète façonnent l’univers que j’ai imaginé.

De plus, j’avais imaginé qu’avec le temps, les humains et la technologie seraient capables de modifier la nature d’une manière que nous n’aurions jamais crue possible et qu’à un moment donné dans le futur, nous pourrions être en mesure de détecter des choses dans des endroits que l’on pensait autrefois vides tels que le vaste espace entre les corps célestes. J’ai donc décidé de créer une musique spéciale pour la distance et le temps entre chaque planète. J’appelle ces transitions les Loop Transits en raison de la façon dont les humains doivent faire une boucle, en utilisant la force centrifuge de la planète pour se frayer un chemin d’une planète à l’autre. Avec l’aide du compositeur Sylvain Griotto et du chef d’orchestre Christophe Mangou, ces parties et les nombreuses facettes caractéristiques de Planets font de cette partition l’un de mes projets musicaux les plus excitants.

Cette vision « stellaire » de la musique est-elle une constante dans votre œuvre ou est-elle née spécifiquement pour ce cadre précis ?

Cette « vision stellaire » est récurrente et se retrouve dans la plupart de mes travaux musicaux et conceptuels. Mais c’est aussi un thème que je partage avec d’autres artistes et producteurs car c’est le thème principal qui traverse la musique techno depuis ses débuts il y a plusieurs décennies. Un concept et une présentation grandiose comme Planets est ce que nous obtenons lorsque cette vue « stellaire » prend son envol à un niveau qui touche les gens en dehors de la piste de danse et de la vie de club.

Propos recueillis par Charlotte Ginot-Slacik.