Le baryton Edwin Crossley-Mercer souffrant sera remplacé par Jóhann Kristinsson pour le concert du 15 octobre.
Escale à Vienne
Modifié le :
Entretien avec Christian Zacharias
Immense musicien, esprit ouvert sur le monde, collectionneur, le chef et pianiste Christian Zacharias ressemble un peu à la ville de Vienne, au carrefour de nombreuses civilisations et à la croisée de tous les arts. Il nous propose un voyage musical pour cette capitale de la musique le 3 mars prochain, avec un programme dédié à trois grands Viennois, Schoenberg, Beethoven et Schubert.
Schoenberg et la Symphonie de chambre n°2
Le public connaît votre passion pour Beethoven et Schubert, que vous avez beaucoup joués et enregistrés. Il est en revanche moins attendu de trouver Schoenberg au programme d’un de vos concerts. Quel est votre rapport à ce compositeur ?
En réalité, j’ai joué beaucoup d’œuvres de Schoenberg au piano ! Si je me perds un peu dans son style dodécaphonique, très radical, qui me touche moins, je me sens très proche de ses œuvres de jeunesse. Je dirige par exemple souvent La Nuit transfigurée, que j’adore, et j’aime aussi beaucoup son Quatuor à cordes. Les arts plastiques me passionnent, et je dois admettre qu’à une période de ma vie, Schoenberg m’impressionnait plus encore en tant que peintre qu’en tant que compositeur. Il a réalisé des toiles expressionnistes admirables, très fortes.
Pourquoi avoir choisi sa Symphonie de chambre n° 2 ?
C’est un véritable chef-d’œuvre. Je la préfère à sa première Symphonie de chambre, très osée, et vraiment dans un esprit de chambre. La Symphonie de chambre n° 2 ressemble plus à une « vraie » symphonie ; elle s’insère parfaitement dans ce programme.
Schoenberg a commencé la composition de cette pièce pendant sa jeunesse, avant de la laisser de côté pour se consacrer au style dodécaphonique et sériel, avec lequel il va influencer toute la musique du XXe siècle. Il l’a reprise plus tard, alors qu’il avait dû émigrer aux États-Unis, et lui a alors ajouté un deuxième mouvement. C’est un Schoenberg très inattendu, avec une danse presque joyeuse, mais la catastrophe revient, inéluctablement. Les événements de la Seconde Guerre mondiale ont largement influencé le finale tragique, bouleversant.
Les œuvres de jeunesse de Beethoven et Schubert
Vous jouez et dirigez Beethoven et Schubert fidèlement, depuis de nombreuses années. En quoi vous semblent-ils toujours neufs ?
En effet, j’ai joué presque toutes les sonates pour piano seul de Schubert et Beethoven, et tous les concertos, trios, sonates pour violon et piano de Beethoven… Ces deux compositeurs m’ont vraiment emmené dans de nombreux voyages. Maintenant, je les joue moins au piano, car je me consacre plus intensément à la direction d’orchestre, grâce à laquelle j’explore leur répertoire symphonique. Je me voue également à leur œuvre en donnant des conférences à leur sujet, par exemple « Pourquoi Schubert sonne-t-il comme Schubert ? ». En les préparant, je dois entrer un peu dans leur système, ce qui est absolument fascinant. Comment est-ce que cela fonctionne ? Comment est-ce que cette pensée se développe ? En quelque sorte, ce travail me profite en premier lieu, et il se trouve qu’ensuite, je le partage.
Vous avez choisi deux œuvres de jeunesse dans ce programme, avec le Concerto pour piano n° 2 de Beethoven (en réalité le premier qu’il ait composé), et la Symphonie n° 2 de Schubert. Quelle est la place de ces pièces de jeunesse dans leur œuvre ?
Ce jeune Beethoven a encore en lui quelque chose que le « grand » Beethoven perdra : une innocence, un charme… Attention, il n’en est pas Mozart ou Haydn pour autant : il s’agit déjà bel et bien de Beethoven, avec toute l’énergie que nous lui connaissons, mais il montre aussi une certaine tendresse, presque une amabilité. Dès le concerto qui suit (et que nous connaissons comme Concerto pour piano n° 1), il commence à beaucoup travailler sur le motif, à insister sur celui-ci, alors que dans ce Concerto n° 2, nous nous trouvons encore dans l’invention pure, et dans un moment très heureux. C’est une des œuvres que je préfère, dans tout le répertoire.
Dans la Symphonie n° 2 de Schubert, l’influence de Rossini et de l’Italie est absolument saisissante : mélodie, chant, énergie… C’est un Schubert de lumière, solaire, sans aucune trace de mélancolie ou de dépression. Nous sommes loin de l’esprit de ses derniers lieder, comme le Winterreise. Schubert a composé plusieurs symphonies dans cet esprit, puis viennent les grands chefs-d’œuvre, comme l’Inachevée et la Grande. Là, c’est un Schubert absolument immense, et aussi beaucoup plus dur.
Ce programme unit la Première École de Vienne (Mozart, Haydn, Beethoven) et la Seconde (Schoenberg, Berg, Webern). Outre Vienne, bien sûr, y a-t-il une connexion entre ces deux écoles ?
C’est Brahms qui fait le lien : il était largement influencé par ses aînés viennois, et dans le même temps, a été salué par Schoenberg, qui l’a qualifié de « Brahms le progressiste » dans un article. Le travail du motif réalisé par Brahms dans ses symphonies forçait l’admiration de Schoenberg.
La figure du Wanderer
Vous êtes allemand, mais vivez en Grande-Bretagne, et vous produisez dans de nombreux autres pays. Vous reconnaissez-vous dans la figure du Wanderer (promeneur, vagabond) chère à Schubert ?
Je suis né en Inde, où ma famille a passé vingt ans alors que le pays était encore anglais. Mon père s’y était installé car il voulait découvrir le monde. Nous sommes revenus en Allemagne, à Karlsruhe, quand j’étais tout enfant. Je m’y suis imprégné de la musique et de la philosophie allemandes, qui me construisent. Aujourd’hui, je vis en Angleterre, et comme mon père, j’ai ce goût du voyage et de la découverte. Grâce à la musique, je m’apprête à diriger ce concert à Toulouse, et je suis également appelé à Porto, Saragosse, Heidelberg, Bucarest… À certains moments, oui, j’ai la sensation d’être un Wanderer, mais je me sens en réalité européen, au plus beau sens du mot. Ma vraie patrie, ce sont les arts, les courants de pensée qui font notre culture européenne.
Si vous deviez vous-même fonder une école, à quoi ressemblerait-elle ?
Pour moi, ce serait une école de vie, qui comprendrait bien sûr la musique, mais aussi la peinture, la sculpture… sans oublier le jardinage et la cuisine. Pour jardiner, il faut savoir jouer avec le temps : il se trouve que c’est l’une des qualités les plus importantes pour moi en musique ! Je trouve souvent les musiciens trop limités dans leur horizon, trop soucieux de la perfection, dont la quête peut devenir une prison. J’aime l’ouverture vers les autres champs d’occupation artistique.
Propos recueillis par Mathilde Serraille pour le Vivace n°15
Zacharias intime
Vendredi 3 mars à 20h
Du Concerto n° 2 de Beethoven à la Symphonie de chambre n° 2 de Schoenberg, c’est à un voyage vers une Vienne musicale que le pianiste et chef allemand nous invite. De son apogée classique au crépuscule du XXe siècle, Zacharias nous raconte l’histoire d’une ville fascinante, berceau de l’orchestre européen.